Une préoccupation majeure dans le domaine entrepreneurial est à la fois protéger son patrimoine personnel et assurer la pérennité de l’entreprise. Bien que chaque structure juridique possède ses propres caractéristiques, l’accent est mis sur la protection patrimoniale. Certaines structures semblent plus sécurisantes que d’autres, avec souvent une préférence accordée aux sociétés à responsabilité limitée. Cependant, malgré leur apparence protectrice sur le papier, ces barrières peuvent être relativement fragiles et se briser facilement, exposant ainsi l’entreprise à des risques. Cette relative insécurité juridique peut perturber les entrepreneurs, en particulier ceux qui ne sont pas experts dans le domaine, les laissant désemparés face aux conséquences potentielles et sans savoir vers qui se tourner.
Face à ces défis, des mécanismes protecteurs sont recherchés pour répondre aux attentes des entrepreneurs, tels que le concept de 2I2P (un entrepreneur possédant deux patrimoines et deux personnalités juridiques) ou la limitation de l’entreprise individuelle aux seuls entrepreneurs individuels (suivie par la transition directe vers une société unipersonnelle). Malgré cette instabilité, il convient de reconnaître les efforts du législateur qui a autorisé diverses mesures telles que les sociétés unipersonnelles, les déclarations notariées d’insaisissabilité, la protection légale de la résidence principale, l’EIRL (Entrepreneur Individuel à Responsabilité Limitée) ainsi que la loi du 14 février 2022.
Ce faisant, le législateur a remis en question certains dogmes et mythes de la pensée juridique, tels que le contrat de société (initialement conçu pour deux personnes), l’unicité du patrimoine et la personnalité morale. Cette série d’initiatives législatives révèle deux perspectives : soit les dispositifs actuels sont considérés comme inefficaces, soit ils représentent une évolution positive dans le domaine juridique.
Sommaire de l’article
Préambule : une relativité offerte par les personnes morales pour protéger son patrimoine personnel
Lors de la création d’une société, on opte généralement pour une structure juridique sécurisée et attrayante pour les investisseurs, avec des avantages sociaux et fiscaux. Cependant, la gestion de cette entité s’avère souvent complexe, nécessitant des conseils professionnels et entraînant des frais. Dès son enregistrement au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS), la société acquiert une personnalité juridique distincte avec son patrimoine personnel, lequel devient généralement le gage des créanciers.
Cependant, cette protection n’est parfois qu’une illusion. Les associés peuvent voir leur patrimoine personnel engagé dans les activités de la société, alors même que les créanciers peuvent chercher à élargir leur recours au-delà du patrimoine de la société pour atteindre celui des associés.
1. Les risques pesant sur le patrimoine personnel des entrepreneurs
1.1 L’obligation de contribuer aux pertes
Engagement des associés et répartition des bénéfices et pertes
Dans le fonctionnement habituel d’une société, les associés jouissent des bénéfices générés, mais ils assument également la responsabilité de contribuer aux pertes de la société, conformément à l’article 1832 alinéa 3 du Code civil.
Obligations associatives et adaptations juridiques
Devenir associé d’une société implique un engagement pour le meilleur, avec le partage des bénéfices, mais aussi pour le pire, avec la prise en charge des pertes. Cette obligation d’ordre public ne prend effet qu’à la dissolution de la société et concerne exclusivement les relations entre les associés et la société.
Flexibilité et limites des clauses léonines
Bien qu’il s’agisse d’une obligation d’ordre public, elle peut être modifiée sous réserve des clauses léonines. Ces clauses permettent de déroger à une contribution aux pertes proportionnelle à la détention des parts sociales. Cependant, leur utilisation est soumise à des limites, lesquelles sont généralement jugées non écrites et sujettes à l’appréciation des tribunaux.
Impact et conséquences financières
La contribution aux pertes joue un rôle crucial lors de la dissolution de la société, où les pertes sont comparées à l’actif de la société. Si les dettes excèdent l’actif, elles sont prioritairement remboursées, puis le reste est partagé entre les associés en fonction de leur participation, leur assurant ainsi un retour sur investissement proportionnel.
Distinction entre responsabilités des sociétés ARI et ARL
Il est important de distinguer les sociétés à responsabilité illimitée (ARI) et à responsabilité limitée (ARL). Dans les sociétés ARI, le patrimoine personnel des associés est engagé sans limite et proportionnellement à leur participation, tandis que dans les sociétés ARL, les associés sont davantage protégés, même s’ils ont perdu leur apport initial.
1.2 L’obligation aux dettes dans les sociétés à risques illimités
Responsabilité des associés dans les sociétés à responsabilité Illimitée (ARI)
Dans les sociétés ARI, l’obligation aux dettes concerne le droit des créanciers à poursuivre la société. Cela concerne des tiers et ne relève pas des rapports entre associés vis-à-vis de la société.
Créanciers sociaux et associés : distinction des responsabilités
Un associé peut également être créancier de la société, par exemple via un apport en compte courant, et n’est pas concerné par l’obligation aux dettes car il doit être réellement un tiers. Cette situation est propre aux sociétés ARI et opère pendant la durée de vie sociale, sans nécessité d’attendre la dissolution ou la liquidation de la société.
Principe de subsidiarité et responsabilité financière des associés
Heureusement pour les associés, le droit de poursuite des créanciers sociaux est soumis au principe de subsidiarité. Les créanciers doivent d’abord demander le paiement de leur créance à la société. Seulement en cas d’échec de leurs poursuites ou de mise en demeure, ils peuvent agir contre les associés à titre personnel.
Différences entre sociétés civiles et commerciales : responsabilité individuelle et solidaire
Dans les sociétés civiles, chaque associé est tenu indéfiniment et conjointement des dettes sociales. Le créancier doit donc diviser les poursuites et demander une contribution à chaque associé proportionnellement à sa détention du capital social. En revanche, dans les sociétés commerciales, les associés sont tenus indéfiniment et solidairement des dettes sociales. Le créancier peut poursuivre un seul associé pour le paiement total de sa créance, puis se retourner contre la société et les autres associés pour récupérer leur part respective de la dette.
Impact sur la protection patrimoniale : limites du droit des sociétés
Ces mécanismes montrent que, en l’absence d’aménagement, le droit des sociétés constitue un frein important à la protection patrimoniale censée découler de la création d’une société.
2. Les obstacles à la protection patrimoniale offerte par une personne morale
Les sociétés unipersonnelles, autorisées depuis 1985 et devenues courantes en France, sont souvent perçues comme une option de protection du patrimoine. Elles offrent une alternative aux entreprises individuelles et permettent la consécration d’un patrimoine dédié.
Cependant, malgré leur attrait pour éviter le besoin d’associés fictifs, elles ne garantissent pas toujours une protection totale du patrimoine personnel de l’associé unique. Même si la SASU et l’EURL sont des sociétés à responsabilité limitée sur le papier, dans la pratique, cette limite est souvent contournée.
2.1 La souscription nécessaire de suretés supplémentaires
Dans de nombreuses sociétés, qu’elles soient pluripersonnelles ou unipersonnelles, lorsque les fonds propres de la société sont insuffisants, un associé, souvent le seul, qui souhaite obtenir un prêt auprès d’une banque doit souvent fournir une garantie personnelle.
Cette garantie prend généralement la forme d’un cautionnement où le patrimoine personnel de l’associé est engagé en garantie d’une dette sociale. Bien que le recours au cautionnement ne soit pas obligatoire, il est traditionnellement préféré par les créanciers.
Cette situation découle en partie du législateur. Contrairement aux sociétés anonymes, dans les sociétés par actions simplifiées (SAS) et les sociétés à responsabilité limitée (SARL), il n’y a pas de capital social minimum (1€). Par conséquent, les créanciers exigent souvent des garanties supplémentaires, entraînant ainsi une remise en cause de la limite de responsabilité des associés.
La question s’est posée de savoir s’il fallait interdire les cautionnements sur la tête de l’associé unique lors de l’introduction des sociétés unipersonnelles en France. En 1986, il a été jugé que cette interdiction serait contraire à la liberté contractuelle et à l’intérêt des entreprises, en limitant trop l’accès au crédit.
Ainsi, le patrimoine personnel des associés devient souvent la garantie des dettes de la société, bien que cela puisse parfois concerner également les dirigeants non associés, même si cela est rare en pratique. La limitation de responsabilité instaurée par la création d’une société à responsabilité limitée est ainsi contournée.
Cependant, il est important de noter que tous les créanciers n’exigent pas systématiquement des garanties supplémentaires, certains se contentant de garanties sur les biens appartenant à la société. Par conséquent, la protection patrimoniale inhérente à la création d’une société n’est pas entièrement compromise, bien que les établissements de crédit exigent souvent des garanties supplémentaires.
2.2 Différentes actions en responsabilité civile
Une fois qu’une société est enregistrée au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS), elle acquiert une personnalité juridique distincte de celle de ses associés et dirigeants. Ainsi, c’est la société elle-même qui conclut des contrats, effectue des achats, adhère à des accords, engage des actions en justice, et non pas les associés ou les dirigeants.
Cette séparation crée une barrière, un « voile de la personnalité morale », vis-à-vis de ses membres, assurant que la responsabilité civile contractuelle ou délictuelle est engagée envers les tiers. Par exemple, la responsabilité pénale ou fiscale de la société est distincte de celle des individus.
Cependant, lorsqu’une décision fautive est prise par un organe de direction collectif, chaque membre de cet organe est considéré comme responsable solidaire de cette faute. Cette solidarité est souvent plus sévère que dans d’autres domaines du droit.
Les dirigeants de société peuvent également être tenus responsables civilement envers des tiers à la société. Cela se produit rarement, mais peut arriver en cas de « faute détachable des fonctions », une notion restreinte et rigoureuse.
De même, dans des cas extrêmes, des tiers à la société peuvent également engager la responsabilité civile personnelle des associés. Cela démontre que malgré la protection offerte par la personnalité morale de la société, il existe des circonstances où les associés peuvent être tenus responsables de manière individuelle.
En revanche, en cas de difficultés financières de la société, il est généralement la société elle-même qui fait l’objet de la procédure collective. Cela signifie que ce sont les actifs de la société qui sont affectés et non ceux des dirigeants ou des associés.
Cependant, il existe des exceptions à ce principe, notamment pour les sociétés unipersonnelles où la responsabilité personnelle des associés peut être plus facilement engagée. Malgré tout, l’utilisation de la personnalité morale reste efficace dans ces situations.
Il est essentiel de noter que ces principes s’appliquent également aux entreprises individuelles à responsabilité limitée (EIRL) et aux entreprises individuelles (EI), bien que ces dernières soient également confrontées à des défis similaires en termes de protection patrimoniale lorsqu’elles rencontrent des difficultés financières.
2.2.1 La responsabilité pour insuffisance d’actif
En cas de liquidation judiciaire, les dirigeants et associés sont généralement protégés par la personnalité morale de la société. Cependant, l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif constitue une exception à cette protection. Cette action peut être engagée contre les dirigeants de droit ou de fait, ainsi que contre les associés agissant comme des dirigeants de fait. Elle s’applique également aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (EIRL) et aux entrepreneurs individuels (EI).
Les conditions pour engager cette action comprennent l’existence d’une faute de gestion, une insuffisance d’actif résultant de cette faute, et un lien de causalité entre les deux. Cependant, les juges ne sont pas tenus d’engager cette responsabilité même si ces conditions sont remplies.
La qualification de la faute de gestion est souvent au cœur du débat. Cette faute est une notion large englobant divers comportements comme la négligence, l’aventurisme ou la violation des lois et des statuts. Les juges jouent un rôle crucial dans l’interprétation de cette notion.
Deux points importants sont à noter : premièrement, la loi Sapin 2 exonère les dirigeants de responsabilité en cas de simple négligence dans la gestion de l’entreprise. Deuxièmement, une jurisprudence précise qu’aucune responsabilité pour insuffisance d’actif ne peut être engagée pour des fautes commises pendant la période d’observation d’une procédure de redressement judiciaire convertie en liquidation judiciaire.
2.2.2 L’extension de procédure
Extension de procédure collective en cas de difficultés économiques et financières
L’article L621-2 du Code de commerce évoque un risque majeur en matière de difficultés économiques et financières (DED) : l’extension de la procédure collective. Cette extension concerne les structures sociétaires ainsi que les entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (EIRL) et les entrepreneurs individuels (EI) relevant de la loi du 14 février 2022.
Cadre de l’extension de procédure
Dans quel contexte cette extension de procédure se produit-elle ? Deux situations se distinguent : la fictivité de la personne morale et la confusion des patrimoines. Habituellement, un jugement de procédure collective ne concerne que le débiteur et son patrimoine. Cependant, il peut être étendu à d’autres personnes physiques ou morales pour des raisons d’intérêt général et de rétablissement des droits des créanciers.
Justification de l’extension de procédure
Cette extension est justifiée par la nécessité de protéger les intérêts des créanciers et de rétablir l’équilibre financier. Toutefois, elle est strictement encadrée par la loi pour éviter des conséquences néfastes pour l’économie et la protection patrimoniale.
Causes et exemples
La confusion des patrimoines et la fictivité de la personne morale sont les principales causes d’extension. La confusion des patrimoines se manifeste par des flux financiers anormaux ou une imbrication des éléments d’actif et de passif entre différents patrimoines. La fictivité concerne les entités qui ne sont que des façades sans activité économique réelle.
Règles et effets
L’extension de procédure peut être initiée par le débiteur lui-même, le ministère public ou les organes de la procédure collective. Elle regroupe les biens des entités concernées en une seule masse, augmentant ainsi les chances de remboursement des créanciers et facilitant le sauvetage de l’entreprise en difficulté.