Le mariage, en tant qu’institution sociale fondamentale, exerce une influence significative sur divers aspects de la vie, y compris sur le domaine complexe du droit des sociétés concernant notamment le statut du conjoint associé. Cette interaction entre le statut matrimonial et les structures commerciales peut avoir des conséquences profondes sur leur fonctionnement et leur gouvernance.
Dans le cadre des relations commerciales, il n’est pas rare que deux conjoints décident d’unir leurs efforts et leurs ressources en devenant associés au sein d’une même entreprise. Cette décision peut découler de diverses motivations, telles que la volonté de collaborer étroitement sur des projets professionnels, de partager les risques et les récompenses associés à l’entrepreneuriat, ou encore de simplifier la gestion et la succession de l’entreprise dans un contexte familial.
Cependant, cette union entre mariage et entreprise soulève des questions juridiques complexes et variées. En effet, le statut d’associé confère des droits substantiels aux individus concernés, tels que le droit de participer aux décisions importantes de l’entreprise, de percevoir des dividendes et de bénéficier de protections juridiques en cas de litige. De même, il engendre des responsabilités importantes, notamment celle de contribuer au capital social de l’entreprise et de respecter les obligations légales et contractuelles qui en découlent.
L’une des principales préoccupations dans ce contexte est de déterminer dans quelle mesure le mariage peut influencer l’attribution et la gestion du statut d’associé. En France, par exemple, la législation encadre de manière précise les modalités selon lesquelles les époux mariés peuvent accéder à ce statut au sein d’une entreprise à capitaux sociaux. Cette réglementation vise à concilier les exigences du droit des sociétés avec les réalités familiales et conjugales, tout en garantissant un équilibre entre les intérêts professionnels et personnels des parties impliquées.
Dans ce contexte, plusieurs questions se posent. Par exemple, dans quelle mesure les biens communs du couple peuvent-ils être utilisés pour contribuer au capital social de l’entreprise ? Comment la répartition des droits de vote et des dividendes entre les conjoints associés est-elle déterminée ? Quels sont les mécanismes en place pour gérer les conflits d’intérêts potentiels qui pourraient survenir en raison de cette double appartenance ?
Pour répondre à ces questions et garantir la stabilité et la légalité des relations commerciales impliquant des conjoints associés, il est essentiel de prendre en compte les principes fondamentaux du droit des sociétés ainsi que les spécificités du droit familial et matrimonial. Des consultations juridiques spécialisées et des conventions claires entre les parties peuvent être nécessaires pour clarifier les droits et les obligations de chacun et pour prévenir les litiges éventuels.
Sommaire de l’article
1. L’octroi du statut du conjoint associé
1.1 Le statut d’associé et les régimes matrimoniaux
Si l’apporteur est titulaire de biens propres, il sera associé dans le cadre du régime de la séparation de biens. De même, dans un régime communautaire, l’époux ayant apporté des biens personnels est libre de disposer de ces biens.
1.2 Information du conjoint et octroi de la qualité d’associé
Dans les couples mariés sous le régime de la communauté légale, la législation exige souvent l’information du conjoint dans certaines situations, notamment lorsqu’il s’agit d’apports de biens ou de deniers communs pour déterminer qui obtiendra la qualité d’associé. Cette question revêt une importance fondamentale, car elle confère des prérogatives politiques telles que le droit de vote, le droit de demander une expertise de gestion, la demande de dissolution de la société, ou encore la révocation judiciaire d’un dirigeant.
1.3 Conséquences pour l’époux non associé
Un époux non associé ne peut pas réclamer le remboursement d’un apport en compte courant, même si les fonds prêtés à la société étaient des biens communs au couple. Ce droit n’émane que de l’associé ayant effectué l’apport en compte courant.
1.4 Protection patrimoniale de l’époux non associé
La non-reconnaissance de la qualité d’associé peut offrir une relative protection patrimoniale à l’époux non associé marié sous le régime de la communauté légale. En effet, le passif d’une société à responsabilité illimitée ne constitue une dette personnelle que de l’époux associé. Ainsi, l’époux non associé ne voit pas ses biens propres engagés pour couvrir le passif de la société, sauf dans le cas où ils sont communs au couple. Cette protection découle du fait que le passif social est généralement considéré comme une conséquence de l’activité de la société, et relève donc principalement de la responsabilité de l’époux associé.
Ainsi, la reconnaissance ou non de la qualité d’associé dans le cadre des régimes matrimoniaux en France a des implications importantes tant sur le plan patrimonial que sur les droits et responsabilités au sein de la société.
2. La qualité d’associé dans les sociétés dont le capital est constitué de parts sociales
Devenir associé ne procure pas uniquement des avantages. L’octroi de la qualité d’associé au conjoint de l’apporteur ou de l’acquéreur n’est pas automatique, mais il bénéficie d’un droit de revendication. En cas de succès de cette revendication, le conjoint devient associé à hauteur de 50% des parts sociales.
Notification et Information : Il est impératif d’informer préalablement le conjoint de cette intention, comme le stipule l’arrêt du 15 mai 2012, où les époux mariés sous le régime de la communauté légale, ayant effectué un apport financier conjoint, obtiennent la qualité d’associé pour moitié. Cette information préalable vise à garantir le libre exercice du droit à la revendication et justifie l’inclusion de cette condition dans l’acte d’acquisition ou d’apport.
2.1 Cadre légal
L’article 1832-2 alinéa 3 du Code Civil précise les modalités d’octroi de la qualité d’associé au conjoint. Cependant, ce droit n’est pas applicable lorsque l’apport est réalisé conjointement par les deux époux, où par principe, la qualité d’associé est reconnue à celui qui effectue l’apport ou l’acquisition.
2.2 Indivision et exercice des droits
Si des parts sociales sont détenues en indivision, chaque indivisaire obtient la qualité d’associé. Cependant, pour simplifier l’exercice des droits de vote, le législateur a évité de recourir à l’indivision pour les époux apporteurs.
2.3 Revendication et les clauses d’agrément
La revendication de la qualité d’associé par le conjoint peut se faire à tout moment, sans délai imposé. Cela peut engendrer des tensions au sein de la société, d’où l’importance de prévoir des clauses d’agrément pour réguler l’entrée de nouveaux associés.
2.3.1 Modalités de revendication
Pour revendiquer la qualité d’associé, le conjoint doit notifier son intention à la société, ce qui est une démarche volontaire et facultative. Cette notification peut être effectuée lors de l’apport ou de l’acquisition, et il est recommandé d’intervenir dans l’acte pour reconnaître avoir été informé et éventuellement donner son consentement.
2.3.2 Conséquences et contraintes
Une fois la qualité d’associé revendiquée, le conjoint est soumis aux clauses d’agrément et ne peut échapper à celles-ci. De plus, toute cession de parts sociales requiert le consentement de tous les associés, conformément à l’article 1832-2 du Code Civil.
2.3.3 Dispositions Spécifiques
Certaines formes juridiques, comme la société en nom collectif (SNC), imposent des contraintes supplémentaires pour l’entrée d’un nouvel associé, nécessitant l’accord unanime des associés existants.
L’octroi de la qualité d’associé au conjoint dans les entreprises où le capital est constitué de parts sociales est soumis à des conditions et des modalités précises, visant à garantir un exercice équitable de ce droit tout en préservant la stabilité et l’équilibre au sein de la société.
3. La qualité d’associé dans les sociétés dont le capital est constitué d’actions
3.1 Attribution de la qualité d’associé selon le régime matrimonial
Dans les cas d’époux mariés sous différents régimes matrimoniaux, qu’il s’agisse de la séparation de biens ou de la communauté de biens, la qualité d’associé est généralement réservée à l’époux qui réalise l’apport en biens propres ou qui acquiert des actions avec des fonds propres. Cette attribution de la qualité d’associé est particulièrement observée dans les sociétés anonymes (SA), sociétés en commandite par actions (SCA), sociétés par actions simplifiées (SAS), et les sociétés européennes.
3.2 Absence de droit de revendication pour le conjoint
Le législateur n’a pas prévu la possibilité pour le conjoint de revendiquer la qualité d’associé pour une partie des actions dans ces cas. Ainsi, lorsque les actions sont obtenues par des biens communs, elles sont considérées comme des biens communs au couple. Seul l’époux ayant réalisé l’opération ou l’acquisition conserve la qualité d’actionnaire, avec le droit exclusif d’administrer et de disposer de ses actions.
3.3 Conséquences pour l’époux non-associé
Dans ces situations, si un seul des époux est associé, le pouvoir de gestion des époux mariés sous le régime de la communauté légale est exclu par la qualité d’actionnaire. Le conjoint non-associé ne peut intervenir dans la société sans en devenir lui-même actionnaire. Si le conjoint souhaite devenir actionnaire, des solutions telles que la transmission par donation ou cession d’une partie des actions sont envisageables.
3.4 Transferts d’actions entre époux et indivision post-communautaire
Les transferts d’actions entre époux dans les SA et SCA sont facilités, car aucune clause d’agrément n’est prévue pour ces transferts. De plus, dans le cadre d’une indivision post-communautaire, les actions appartenant à la communauté sont gérées en accord entre les ex-époux. Cependant, en cas de désaccord, une désignation judiciaire d’un mandataire peut être nécessaire.
lien complémentaire : cession par à un époux d’actions communes pendant l’indivision post-communautaire.
3.5 Cas particulier des stock-options
Un récent arrêt de la Cour de Cassation a abordé la question des stock-options dans le contexte d’un divorce. La Cour a distingué les droits résultant de l’attribution des stock-options, considérés comme des biens propres, des actions acquises à la suite de leur levée, considérées comme des biens communs si l’option est levée avant la dissolution du mariage. Cette décision clarifie la qualification des stock-options et des actions détenues à la suite de leur exercice selon la date de leur levée par rapport à la dissolution du mariage.
En somme, la question de l’attribution de la qualité d’associé et des droits afférents dans le cadre des régimes matrimoniaux soulève des implications complexes, tant sur le plan juridique que patrimonial, nécessitant une analyse attentive des situations spécifiques et des décisions jurisprudentielles récentes.
4. La distinction du titre et de la finance
4.1 Origine et utilisation de la distinction Titre/Finance
La distinction entre le titre et la finance trouve son origine dans la jurisprudence, où les juges reconnaissent l’existence de biens mixtes. Ces biens sont liés à un époux détenteur du titre, mais leur valeur financière appartient à la communauté. Cette distinction a été appliquée notamment aux droits sociaux non négociables, comme en témoigne un arrêt majeur de la jurisprudence commerciale de la Première Chambre civile datant du 9 juillet 1991, l’arrêt Gelada.
4.2 Application de la distinction Titre/Finance
La jurisprudence a confirmé cette position à plusieurs reprises, notamment dans un arrêt du 22 octobre 2014. Elle énonce que le souscripteur de parts sociales acquises pendant le mariage est le seul à avoir la qualité d’associé. Cela signifie que les parts sociales ne font pas partie de la communauté pour leur titre, mais seulement pour leur valeur financière.
Un autre arrêt significatif du 4 juillet 2012 illustre cette distinction : il montre que la solution peut varier en fonction des circonstances, et que la finance peut devoir être rachetée pour conserver l’intégralité des parts sociales.
4.3 Conséquences de la distinction Titre/Finance
Durant le fonctionnement du régime matrimonial, même si un époux a la qualité d’associé, la cession de parts sociales nécessite l’accord du conjoint non associé, conformément à l’article 1424 du Code civil.
En revanche, lors de la dissolution du mariage, seul le titulaire du titre peut disposer des parts sociales sans l’accord de son ex-conjoint. Cette distinction permet d’assurer une continuité et un partage équitable de la valeur des parts sociales.
Lien à consulter : Conjoint du chef d’entreprise : quels sont les différents statuts ?