Les mécanismes d’insaisissabilités : une protection du patrimoine pour l’entrepreneur 

La difficulté à saisir un bien permet d’éviter qu’il ne soit pris en gage par les créanciers. Bien que normalement, tous les biens du débiteur devraient être à la disposition commune de ses créanciers, le droit français propose divers mécanismes spéciaux pour garantir l’insaisissabilité de certains biens, même au-delà des dispositions de la loi du 14 février 2022. Ces mécanismes, notamment la Loi Dutreil et la Loi Macron, ainsi que le droit commun, restent pertinents, bien que leur importance ait diminué depuis l’adoption de ladite loi.

1. La déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI) issue de la loi Dutreil

La protection du patrimoine d’un entrepreneur peut être réalisée en optant pour une personnalité morale. À l’inverse, l’entrepreneur peut choisir d’exercer son activité en tant qu’entreprise individuelle. Pour encourager la création d’entreprises individuelles, le législateur, par le biais de la Loi Dutreil du 1er août 2003, avait prévu une mesure de protection visant à limiter la responsabilité illimitée des entrepreneurs individuels. Cette mesure, appelée déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI), est énoncée dans les articles L.526-1 et suivants du Code de commerce.

La DNI demeure importante tant pour les entrepreneurs que pour les créanciers, même après l’entrée en vigueur de la loi de 2022.

1.1 Le but de la DNI (déclaration notariée d’insaisissabilité)

La DNI vise à rendre certains biens d’un entrepreneur individuel personne physique insaisissables par ses créanciers professionnels. Initialement, la Loi Dutreil avait introduit la déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI) uniquement pour les biens immobiliers servant de résidence principale à l’entrepreneur individuel, à condition qu’il en soit propriétaire.

Pour renforcer l’efficacité de ce dispositif et encourager davantage d’entrepreneurs à l’adopter, et ainsi stimuler la création d’entreprises, la Loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008 a élargi le champ d’application de la DNI à tous les biens fonciers, bâtis ou non, détenus par un entrepreneur.

Cependant, pour être éligible à la DNI, le bien foncier ne doit pas être entièrement utilisé à des fins professionnelles. Cette mesure est réservée aux entrepreneurs individuels personnes physiques, excluant les sociétés et leurs associés.

Si un entrepreneur individuel modifie sa structure juridique en cours d’activité (passant de l’entreprise individuelle à une société, par exemple), la DNI devient caduque.

1.2 Le formalisme de la DNI (déclaration notariée d’insaisissabilité)

  • Le notaire 

Pour que l’entrepreneur individuel puisse bénéficier de l’insaisissabilité de ses biens, il doit prendre l’initiative de consulter un notaire pour établir une déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI). Cette démarche est indispensable et doit être effectuée sous peine de nullité, selon l’article L.526-2 du Code de commerce. La DNI doit inclure une description détaillée des biens fonciers concernés et préciser leur statut propre, commun ou indivis.

Le notaire n’offre pas ses services gratuitement pour cette procédure. Il y a des frais fixés par le législateur, ce qui rend cette démarche peu rentable pour les notaires. Dans la DNI, l’entrepreneur a le choix des biens à inclure.

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La DNI doit être rendue publique pour être opposable aux tiers. Le notaire chargé de la procédure la fera publier au fichier immobilier et l’enregistrera auprès du registre d’immatriculation professionnelle de l’entrepreneur. C’est cette publicité qui rend la DNI opposable aux tiers, comme confirmé par une décision de la Cour de cassation en date du 15 novembre 2016.

1.3 Les effets de la DNI (déclaration notariée d’insaisissabilité)

Lorsque toutes les conditions de forme stipulées par le Code de commerce sont respectées, la déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI) a pour effet de protéger les biens fonciers mentionnés de l’action des créanciers professionnels. Cependant, il est important de noter que cette mesure ne s’applique qu’aux créanciers professionnels dont la créance est née après la double publication, comme énoncé par la Chambre commerciale le 8 janvier 2020.

En pratique, sur les 12 premières années du dispositif, il y a eu seulement 60 000 DNI, ce qui constitue un échec et indique un dysfonctionnement du dispositif. Trois raisons peuvent expliquer cette situation : de nombreux entrepreneurs individuels, en particulier les jeunes, ne possèdent pas de biens fonciers ; les entrepreneurs sont obligés de mettre à disposition de leurs créanciers professionnels, s’ils en sont propriétaires, leurs biens fonciers ; et enfin, le coût associé à la DNI.

Face à ces constats, le législateur a réagi en mettant en place une insaisissabilité légale avec la loi Macron.

2. L’insaisissabilité de la résidence principale issue de la loi Macron

L’insaisissabilité de la résidence principale découle de la loi Macron du 6 août 2015. Constatant les limites de la DNI, basée sur une démarche déclarative volontaire, le législateur a décidé de progresser en instaurant une protection légale automatique pour les résidences principales des entrepreneurs individuels. Cette mesure vise à remédier aux lacunes de la DNI en offrant une protection systématique.

Cependant, malgré l’introduction de cette insaisissabilité légale, la DNI reste pertinente et en vigueur.

2.1 Une insaisissabilité de principe de la résidence principale

La Loi Macron du 6 août 2015 vise à assouplir les contraintes pesant sur les entrepreneurs individuels tout en renforçant leur protection contre les créanciers professionnels, dans le but de promouvoir la création d’entreprise. Cette loi établit l’insaisissabilité automatique de la résidence principale de tout entrepreneur individuel, sans aucune formalité requise. Elle offre également une protection en cas de cession de la résidence principale et en cas de cohabitation pendant les procédures collectives.

Cependant, la qualification de résidence principale peut être sujette à controverse, nécessitant une preuve de la part de l’entrepreneur. Les juges sont chargés de s’assurer que les mesures d’insaisissabilité ne sont pas détournées de leur objectif initial. La loi du 14 février 2022 renforce cette exigence en demandant à l’entrepreneur individuel de prouver la nature de son patrimoine professionnel en cas de litige.

2.2 La renonciation à l’insaisissabilité : une sûreté négative

Il est envisageable de se désister de la déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI) ainsi que de l’insaisissabilité légale prévue par la loi Macron, comme stipulé dans l’article L.526-3 du Code de commerce. Cette démarche vise à répondre aux besoins des créanciers et à ne pas entraver le bon fonctionnement des entreprises individuelles.

Cette renonciation, visant à élargir le recours de certains créanciers professionnels, est flexible. Elle peut concerner tout ou partie des biens protégés et s’appliquer uniquement en faveur de créanciers spécifiques. Certains établissements de crédit exigent des entrepreneurs individuels de souscrire à des DNI pour réduire le risque pour les créanciers et ajoutent cette condition à l’obtention d’un prêt.

La renonciation n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers professionnels dont la créance est postérieure à sa publication. Pour procéder à cette renonciation, un formalisme précis est requis : passage par un notaire avec une double-publication au fichier immobilier et au registre professionnel de l’entrepreneur individuel.

Lors de la renonciation, le notaire est tenu à un devoir de conseil afin de sensibiliser sur les risques encourus. De plus, lorsque le bénéficiaire de la renonciation cède sa créance professionnelle, le cessionnaire peut également se prévaloir de la renonciation, renforçant ainsi son intérêt.

2.3 La portée des insaisissabilités

La question des effets des mécanismes d’insaisissabilité n’a pas été pleinement examinée par le législateur.

La loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale a précisé que la déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI) ne protège pas l’entrepreneur contre l’administration fiscale en cas de fraude ou d’inobservation grave de ses obligations fiscales.

Ces mécanismes d’insaisissabilité ne s’appliquent qu’aux créances liées à l’activité professionnelle de l’entrepreneur, ce qui limite leur protection. Ils offrent cependant l’avantage de ne pas restreindre les droits de l’entrepreneur sur les biens concernés.

L’article L.526-3 du Code de commerce prévoit une insaisissabilité temporaire du prix de vente de la résidence principale de l’entrepreneur individuel, pour une durée d’un an. Pour que cette mesure perdure lors de l’acquisition d’une nouvelle résidence principale, une déclaration de remploi des fonds doit être incluse dans l’acte d’acquisition.

En cas de cession de la résidence principale pendant une procédure collective, il est recommandé de consigner les fonds de manière à acheter une nouvelle résidence principale, et, par prudence, d’obtenir l’autorisation du juge commissaire pour toute cession d’un bien protégé.

La question de la résidence principale est cruciale : en cas de revente d’un bien qui n’est pas la résidence principale, l’insaisissabilité prend fin sans effet rétroactif. En cas d’usage mixte d’un immeuble, la partie non utilisée à des fins professionnelles reste insaisissable en faveur de l’entrepreneur individuel.

2.4 L’insaisissabilité en procédure collective

Les experts en droit des entreprises en difficulté ont été surpris dès l’adoption de la Loi Dutreil par l’absence de dispositions concernant le traitement des déclarations notariées d’insaisissabilité (DNI), notamment en cas de liquidation judiciaire, période où l’entrepreneur a le plus besoin de certitude.

Selon l’article L.632-1 du Code de commerce, les déclarations d’insaisissabilité faites par le débiteur après la date de cessation des paiements sont nulles. Cette nullité absolue vise à protéger les créanciers de l’entrepreneur. Il est donc impossible de souscrire à une DNI lorsque l’entreprise est en cessation des paiements mais que la procédure collective n’a pas encore débuté.

Depuis 2003, la jurisprudence s’efforce d’établir les règles applicables aux mécanismes d’insaisissabilité, afin de clarifier leur fonctionnement dans le cadre des procédures de redressement et de liquidation judiciaire.

2.4.1 L’opposabilité à la procédure collective

Pour que l’insaisissabilité produise ses effets, elle doit être opposable à la procédure collective, ce qui constitue une exception notable au principe antérieur à la loi du 14 février 2022 selon lequel les biens du débiteur en difficulté étaient considérés comme le gage général des créanciers. Ainsi, un liquidateur ne peut pas vendre un immeuble objet d’une insaisissabilité.

Selon une jurisprudence de 2021, un entrepreneur individuel ne peut plus faire publier une déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI) à compter de l’ouverture d’une procédure collective. Pour être opposable à cette procédure, la DNI doit non seulement être antérieure au jugement d’ouverture, mais également avoir été publiée avant celui-ci.

La question se pose de savoir si une insaisissabilité interdit toute action judiciaire pendant une procédure collective. Une jurisprudence 2016 a marqué un revirement de jurisprudence à ce sujet. Selon cette décision, la DNI n’est opposable à la liquidation judiciaire que si elle a fait l’objet d’une publicité régulière. Ainsi, le liquidateur peut contester la régularité d’une DNI en mettant en évidence qu’elle n’a pas été correctement publiée, ce qui peut augmenter le gage des créanciers.

2.4.2 L’opposabilité aux créanciers hors procédure collective

Les créanciers d’un débiteur en difficulté, à l’égard duquel les immeubles ne sont pas insaisissables, doivent pouvoir procéder à la réalisation de ces immeubles dans le cadre du droit commun, sans être restreints par l’ouverture d’une procédure collective. En d’autres termes, l’immeuble est considéré comme étant en dehors de la procédure collective.

La Cour de cassation a affirmé ce principe dans plusieurs arrêts de 2016, stipulant que l’immeuble insaisissable échappe à l’effet réel de la procédure collective et peut donc être réalisé conformément au droit commun par les créanciers auxquels l’insaisissabilité n’est pas opposable. Ainsi, ces créanciers ne sont pas tenus d’attendre la clôture de la procédure collective pour entamer une saisie immobilière.

Cette analyse a été confirmée par un arrêt de 2020, précisant qu’un créancier auquel la déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI) est inopposable peut exercer son droit de poursuite sur l’immeuble indépendamment de ses droits dans la procédure collective frappant le propriétaire de l’immeuble. Cela signifie que ce créancier peut également inscrire une hypothèque provisoire sur le bien selon les procédures ordinaires du droit commun.

Toutefois, cette situation place le créancier dans une position délicate, car en vertu du principe de la procédure collective, il lui est interdit de réclamer le paiement de sa créance. Il doit donc être en mesure d’exercer son droit sur l’immeuble en dehors de la procédure collective, en obtenant un titre exécutoire, sans pour autant pouvoir réclamer le paiement de sa créance par le débiteur.

3. L’inaliénabilité de l’article 900-1 du Code civil

L’article 900-1 du Code civil établit les conditions de validité des clauses d’inaliénabilité : ces clauses ne sont valables que si elles sont temporaires et motivées par un intérêt sérieux et légitime.

Les clauses d’inaliénabilité sont des dispositions contractuelles qui empêchent le propriétaire d’un bien ou le détenteur d’un droit de le transférer volontairement à un tiers, que ce soit à titre gratuit ou onéreux. Elles offrent une protection temporaire au bien concerné lorsqu’elles sont conclues à l’occasion d’une donation ou d’une succession.

En cas de nécessité, le bénéficiaire peut demander en justice l’autorisation de disposer du bien soumis à une clause d’inaliénabilité dans deux situations :

  1. Lorsque l’intérêt ayant justifié la clause a disparu.
  2. Si un intérêt plus important que celui ayant motivé l’inaliénabilité justifie la levée de cette dernière.



En conclusion, les dispositifs d’insaisissabilité offrent aux entrepreneurs une protection précieuse pour leur patrimoine personnel, en limitant l’étendue des biens pouvant être saisis par leurs créanciers professionnels. La déclaration notariée d’insaisissabilité, introduite par la loi Dutreil, et l’insaisissabilité de la résidence principale, consacrée par la loi Macron, permettent aux chefs d’entreprise de mieux sécuriser leurs biens tout en continuant leurs activités. En parallèle, l’inaliénabilité de certains biens, régie par l’article 900-1 du Code civil, renforce cette protection dans le cadre des clauses de donation ou de legs. Ces mécanismes, bien qu’ils soient soumis à des formalismes et à certaines limitations, constituent des outils juridiques fondamentaux pour préserver le patrimoine privé des entrepreneurs face aux aléas financiers de leur activité professionnelle.

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